Du chant de la douleur

Poème et Illustrations de Patrick Thuillier

D’après Le chant de la Terre de Gustav Mahler

compositeur Autrichien ( 1860-1911 )

I

L’Or du vin

 

Le ciel demeure bleu, la terre fidèle ;
elle refleurira encore
mais toi, homme,
combien de saisons t’accordera le sort ?

 

Un chant, un cri, puis la coupe,
l’or du vin vaut bien les vanités fragiles du monde
et leurs fruits déjà gâtés.

La vie s’éteint dans un solennité
de rires, de larmes, d’heures félonnes.

 

II

Larmes d’automne

 

Les brumes d'automne glissent sur le lac,

bientôt vogueront, languissantes,
les feuilles d’or lassées.

Ma lampe meurt dans un soupir
et je ferme les yeux, las de gémir.

 

Mon cœur réclame un doux palais ;
solitaire, je pleure en silence,

l’automne cruelle est sans indulgence.

 

III

Le miroir de l’amitié


Un pavillon de porcelaine flotte entre ciel et lac ;
là, des amis habillés de soie rient et versifient,
miroitements renversés d’un bonheur éphémère.

 

Tout se tient à l’envers dans le calme des jours
où l’amitié s’écrit entre vin et reflets
et le monde fragile se jauge dans une coupe

en partage paisible.

 

Ce qui se passe n’est que le reflet d’un reflet :

l’amitié vraie est un songe sur une eau sans ride.

 

IV

Le théâtre des regards

 

Elles rient dans la lumière

fleurs aux mains, cœurs légers

mais les regards, lancés

comme des flèches aux soldats,

n’est qu’un jeu d’ombre

dans la lumière du désir.

 

Le plus grand amour

n’est pas celui que l’on a vécu pleinement

mais celui qui a brûlé en silence

et n’a jamais quitté le cœur.

 

V

Dans le sillage des songes

 

Si la vie n’est qu’un songe insensé,
pourquoi donc souffrir ou penser ?

Je bois le jour comme on boit l’oubli,
quand le vin m’a tout pris ;
je titube, tombe mon regard vers les étoiles,
et je m’endors comme on meurt doucement,
sans plus de tourments

mais l’aube me réveille en fleur,

est-ce un nouveau printemps ?

Un oiseau gazouille, il est là pour moi ;

je regarde au fond de ma coupe le vin ami
et je bois à l’éclat du néant,
puis, je m’endors encore, le cœur en cendre ;

que m’importe le printemps si accueillant.

Laissez-moi vivre, ivre et flou ;
le rêve est vrai, tout le reste est absurde.

 

V bis

 

Je vais vers les montagnes, vers le silence

car le bonheur ici bas ne m’a point choisi ;

je vais là où s’efface la souffrance,

là, où l’âme sera peut-être de retour.

 

Je n’attends plus rien du monde ;
je cherche l’écho des sources,
la paix entre les cimes, le chant d’un ciel ancien

au printemps éternel, éternellement.

 

VI

Le Seuil Invisible

 

Le soir descend, drapé d’ombres imposantes

et la lune s’élève, barque pâle sur l’océan céleste
conduisant les âmes au-delà du regard.

 

Un ruisseau étend son chant

et les vallées s’emplissent d’ombres froides.

 

Les oiseaux se blottissent les uns contre les autres

et dans le souffle des pins, je t’attends, ami tardif,

compagnon du dernier regard.

 

Un rayon de soleil cligne une dernière fois,
comme une paupière lourde de lumière ;

tout se retire, tout s’éteint dans une atmosphère de paix.


VI bis

 

Je sens le sommeil me saisir comme une brume légère
et n’ai ni crainte, ni regret,

seulement l’oubli d’avoir été qui je fus.

 

Je t’attends, ami silencieux, frère de mon départ
mais c’est seul que je franchirai le seuil de ma fin
car tout adieu est nu, tout passage est solitaire.

Ô vie, toi qui a fait battre mon cœur d’éclats et d’abîmes,
l’heure est venue et je te salue une dernière fois ;

ta beauté brûle encore mon regard et pourtant

je me défais de toi, marche libre vers l’inconnu.